
…et les barres sur les t. Cécité et contre-vérités intéressées ont déformé le discours mémoriel réalisé par le gouvernement basque sur le désarmement d’ETA il y a sept ans. A froid, les Artisans de la paix, qui en furent les initiateurs, ont donné le 16 décembre leur version des faits. Elle réserve bien des surprises. Le gouvernement d’Iñigo Urkullu n’en sort pas grandi, le roi est nu. Ce récit constitue un document historique et une leçon politique (1).
Le désarmement de l’organisation armée basque ETA le 8 avril 2017, opération aussi atypique qu’inédite dans les annales, méritait un récit sérieux. Il diverge de celui rendu public à l’époque par le gouvernement autonome basque, simple partenaire dans cette affaire qui a impliqué au sommet les autorités de deux États et de deux gouvernements autonomes, la société civile qui en fut le moteur, et ETA.
Le lecteur abertzale tombe de haut. Il croyait bêtement que le gouvernement de Gasteiz allait tout faire pour favoriser le désarmement d’ETA, selon un scénario et des moyens élaborés au fil de négociations pendant des mois. Il n’en a rien été. Pire, ce ne fut de sa part qu’une longue suite de surenchères pathétiques, de fuites intéressées dans la presse, de cécité auto-réalisatrice, de contre-vérités, de défiance à l’égard de la société civile, de querelles stériles sur le calendrier, de mensonges éhontés dans le compte-rendu que le gouvernement de Gasteiz a officiellement rédigé après les faits, en octobre 2019. Sa réécriture de l’histoire est à l’oeuvre ; l’épisode du communiqué tronqué qui déclenche l’ire d’un Jean-René Etchegaray, à deux doigts de claquer la porte au nez d’Urkullu, est un délicieux morceau d’anthologie. Le lecteur n’est pas au bout de ses surprises.
Défiance à l’égard de la société civile
Visiblement Iñigo Urkullu et son bras droit, Jonan Fernández, font davantage confiance au chef du gouvernement espagnol, le PP Mariano Rajoy, qu’aux Artisans de la paix, initiateurs de ce processus de haute volée. Ils craignent plus que tout les réactions du PP, comme s’ils étaient colonisés dans la tête… À plusieurs reprises, le gouvernement autonome s’arroge un rôle qu’il n’a pas et se montre obsédé négativement par la présence d’observateurs et d’acteurs de la société civile durant le processus. Il s’arc-boute aux antipodes d’une vision partagée du désarmement dont il serait partie prenante, avec toute la place qui lui revient, au même titre que les institutions de Navarre et d’Iparralde. Au fil des mois, les Artisans de la paix rencontrent la plupart des partis politiques. A leur grande surprise, ils constatent que le PNV n’est pas sur la même longueur d’onde que le gouvernement qu’il dirige. Le parti comprend bien certaines nécessités, comme par exemple celle d’organiser le désarmement complet en une seule journée, à laquelle d’ailleurs il participera.
« Eusko Jaurlaritza ne croit pas un instant
que les Artisans de la paix définissent
leurs options en fonction de leurs propres analyses.
Son approche pessimiste et comme déconnectée du réel
n’a d’égale que son mépris à l’égard de la société civile
et sa méconnaissance d’Iparralde. »
Eusko Jaurlaritza ne croit pas un instant que les Artisans de la paix définissent leurs options en fonction de leurs propres analyses. Son approche pessimiste et comme déconnectée du réel n’a d’égale que son mépris à l’égard de la société civile et sa méconnaissance d’Iparralde, ses acteurs et sa culture politique différente d’Hegoalde. Il demande le respect absolu de la légalité en formulant des conditions qui rendraient impossible la totalité du désarmement (une partie du stock d’armes étant dans des maisons privées). Ses exigences vont au-delà des conditions formulées par les pouvoirs exécutifs et judiciaires français !

Dans le fond et contrairement à ses homologues, Gasteiz ne mesure pas l’ampleur des enjeux et ne pense qu’à tirer la couverture à lui. Il ne supporte pas de voir une démarche lui échapper, parce que située hors du territoire où il exerce quelque autorité. Qui ose gagne, dit-on, mais la frilosité du gouvernement autonome est de mise ; il raisonne davantage en termes de citadelle assiégée. D’où, au final, son refus de participer à la journée du désarmement le 8 avril. Localement, seuls la CAPB et la mairie de Bayonne agiront à fond dans le bon sens pour conforter et faire réussir la démarche.
Un outil de formation inspirant
Le paradoxe veut que les Artisans de la paix tissent des relations plus transparentes, correctes et sérieuses avec le gouvernement français et ses représentants locaux, préfets et hauts magistrats. Ceux-ci distinguent l’essentiel de l’accessoire et savent avec pragmatisme adapter le « droit pur » aux faits, pour parvenir à un résultat satisfaisant pour tous. Contrairement au gouvernement basque, les représentants de Paris respectent le cadre des négociations malgré les désaccords inévitables qui, pendant deux mois, ont été importants. Surmonter la difficulté juridique présentée par certains stocks d’armes se trouvant chez des particuliers en Iparralde, donne la mesure de cette opération de haute voltige. Comme dans toute négociation, un partenaire fiable ne doit ni changer le cadre, ni modifier à chaque instant les lignes rouges.
De crainte de déflorer l’intérêt des lecteurs, nous ne donnerons pas ici davantage de détails sur comportements, les réactions, les attentes des différents acteurs dans cette exceptionnelle aventure politique collective. Elle se construit au fil des pages et évolue, les faits précis qui émaillent le récit en sont passionnants. On pourrait imaginer que ce récit n’est qu’un règlement de compte aigri, orienté politiquement pour « bouffer de l’Urkullu et du Jonan Fernández », comme un brûlot, un « bashing « aussi excessif qu’éhonté. Pas du tout. Ses auteurs rendent compte d’une multitude de rencontres, d’évènements et de déclarations vérifiables, ils apportent les preuves concordantes de leurs affirmations, ils présentent sereinement des faits. Parce qu’ils n’ont aucune revanche à prendre.
« De l’opération de Luhuso le 16 décembre 2016
qui fit bouger les lignes au désarmement final,
cela constitue une leçon politique et un outil de formation et de réflexion magistral
pour les abertzale d’aujourd’hui et de demain. »
L’ensemble est accompagné, en deuxième partie, des comptes-rendus détaillés des dix réunions que les Artisans de la paix ont tenues avec le gouvernement autonome basque. Ce document est complété à chaque étape par des éléments du contexte et le contenu des négociations avec les autres partenaires, en particulier les autorités françaises. Lisez-les de près. De l’opération de Luhuso le 16 décembre 2016 qui fit bouger les lignes au désarmement final, cela constitue une leçon politique et un outil de formation et de réflexion magistral pour les abertzale d’aujourd’hui et de demain. Le document se clôt sur la charte des Artisans de la paix qui définit leurs principes d’action. Elle est à cet égard très éclairante. Il en est de même avec la passionnante narration, heure par heure, de la journée de désarmement du 8 avril 2017 et de sa préparation millimétrée. Un vrai document historique et pédagogique.
Qualité des acteurs
Réserve militante oblige, peu de choses sont dites sur l’investissement humain que suppose le désarmement d’ETA. Une simple allusion est faite quant à son coût financier pris en charge par ses instigateurs.
« Le pire n’est pas toujours certain,
il n’y a pas de fatalité en histoire, encore moins de lois.
Marqué par l’imprévisibilité, l’avenir dépend aussi
de la volonté, du courage et de l’intelligence
des femmes et des hommes qui agissent sur le terrain. »
Discrétion également sur la détermination créatrice de militants bénévoles qui risquent gros personnellement — mais on le devine —, ils ne défendent aucun intérêt personnel ou de carrière. Nous savons aujourd’hui que ce fut une totale réussite, mais rien au départ n’était acquis ou gagné d’avance. En filigrane, chacun devinera la qualité de ceux qui ont conçu et organisé cette opération. Ces abertzale de talent gravitent autour d’un noyau restreint de six à sept personnes fortement impliquées. Leur modestie dût-elle en pâtir, nous citerons ici seulement deux noms bien connus, ceux de Michel Berhocoirigoin et de Txetx.
« C’est quand les choses sont arrivées qu’on voit combien elles étaient faciles à prévoir » ; le pire n’est pas toujours certain, il n’y a pas de fatalité en histoire, encore moins de lois. Marqué par l’imprévisibilité, l’avenir dépend aussi de la volonté, du courage et de l’intelligence des femmes et des hommes qui agissent sur le terrain. Ce message d’espoir est aussi celui de tous les Artisans de la paix.
(1) Disponible sur le site de Bake Bidea (www.bakebidea.com) :
– en français : Mise au point des Artisans de la paix au sujet du déroulé réel de la phase finale du désarmement d’ETA
– en euskara : Bakegileen azalpena ETAren armagabetzearen azken faseko gertakari errealei buruz